Cette fois, il ne s’agit pas d’ours polaires ou de papillons exotiques : l’extinction de masse concerne des centaines d’animaux ou plantes de notre quotidien, qui se raréfient à une vitesse ahurissante, fragilisés par les activités humaines. Faudra-t-il bientôt parler au passé des hérissons ou des lapins de garenne ?
Ce sont de petits signes, auxquels on ne prête pas attention, et qui deviennent de plus en plus flagrants. Les pare-brise propres après un voyage en voiture alors qu’il y a une quinzaine d’années ils étaient maculés d’insectes écrasés.
Les printemps de plus en plus silencieux, les alouettes, moineaux, perdrix ou hirondelles qu’on ne voit plus qu’occasionnellement. Les hérissons, grenouilles, libellules ou vers de terre qui se font rares. Le coquelicot qui n’égaye plus les blés, et qu’on doit réintroduire, l’immortelle des sables ou la violette de Rouen qui tirent leur révérence.
C’est arrivé près de chez vous. Cela arrive près de chez nous, ici et maintenant. «Globalement, 30 % des espèces sur le territoire français sont menacées, assure Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Cette situation est symbolique de ce qui se passe dans le monde.» La biodiversité du quotidien disparaît sous nos yeux, à une vitesse vertigineuse, ahurissante.
Un enjeu mal compris
Fin mars, des chercheurs du Muséum d’histoire naturelle et du CNRS
lancent l’alerte : dans nos campagnes, les populations d’oiseaux communs
ont chuté d’un tiers en quinze ans. Un choc, quelques mois seulement
après une étude allemande pointant la disparition, en trente ans, de
près de 80 % des insectes volants en Europe. Il ne s’agit plus d’un ours
polaire par-ci ou d’une espèce exotique de papillon par-là, mais de la
faune, de la flore et des écosystèmes qui nous entourent. Et, surtout,
on l'oublie trop souvent, dont l’humain fait partie et dont il dépend
pour respirer, manger, boire, se soigner, s’abriter, se vêtir, obtenir
énergie et matières premières, protéger les littoraux, stocker le
carbone, etc. Autant de «services écologiques» gratuits et
irremplaçables.
Le bon fonctionnement de la biodiversité est vital pour l’humanité.
Autant que le climat, les deux étant interdépendants. C’est le message
qu’essayera de faire passer Nicolas Hulot, vendredi à Marseille, en
présentant les grands axes de son plan biodiversité (lire page 5).
Le ministre de la Transition écologique et solidaire devra déployer
toute sa force de conviction pour secouer les consciences, jusqu’en haut
lieu. L’enjeu est mal compris, donc négligé.
«Cascades biologiques»
Le concept de «biodiversité», complexe, n’est apparu que dans les
années 80. Il désigne le tissu vivant de la planète, soit l’ensemble des
milieux naturels (océans, prairies, forêts, mares…) et des espèces (y
compris Homo sapiens), mais aussi les interactions entre les
organismes vivants et leur milieu. Comment l’Homme a-t-il réussi à
dérégler ces symbioses ? Comment autant d’espèces aux morphologies si
différentes, vivant dans des milieux si divers, peuvent-elles être
touchées par un même déclin généralisé ? «Un cocktail de facteurs, répond Sébastien Moncorps.
Le changement climatique se combine à la pollution, aux pratiques
agricoles intensives, à l’influence des espèces invasives et à la
disparition des milieux naturels.» Cette dernière dynamique est la
cause principale de l’effondrement continu de l’état de la biodiversité
commune en France, selon lui. Tous les ans, 66 000 hectares d’espaces
naturels et agricoles sont grignotés par l’urbanisation et les grandes
infrastructures. Depuis 2006, le territoire a ainsi perdu l’équivalent
d’un département comme la Seine-et-Marne. Une artificialisation qui
provoque l’imperméabilisation des sols. «Une fois qu’il est bétonné, le sol n’est plus utilisable pour autre chose que les activités humaines, explique Alexandra Langlais, juriste au CNRS, spécialiste des interactions entre la biodiversité et l’activité agricole. C’est irréversible. On se retrouve aujourd’hui à devoir fabriquer de nouveaux sols à partir de déchets, pour les remplacer.»
Idem pour l’intensification des pratiques agricoles par l’accélération
des rotations de cultures, l’usage systématique de pesticides et le
recours à des engins mécaniques qui écrasent les terres. «La majorité des sols européens est menacée d’épuisement, poursuit la juriste. Une
fois morts, les sols n’ont plus de capacité de régénération et de
production agricole. Ils perdent leur pouvoir de filtration de l’eau et
de régulation des inondations. Ces pratiques tuent la biodiversité en
profondeur, comme les vers de terre.» Mais, dans ce cas,
le mouvement est encore réversible grâce à l’agroécologie et des
techniques comme le recours à des auxiliaires de culture (pucerons,
coccinelles) qui luttent contre les ravageurs et permettent la
pollinisation.
Les produits chimiques ont aussi un impact direct sur les animaux, les plantes et la microfaune souterraine. «Les grands prédateurs concentrent de fortes quantités de substances toxiques, assure Jérémy Dupuy de la Ligue pour la protection des oiseaux. On
observe chez les rapaces, par exemple, des cas d’empoisonnement, de
baisse de reproduction et de fragilisation de la coquille des œufs.» Par définition, les pesticides visent à tuer végétaux, insectes et ravageurs. «Il faut recréer des cascades biologiques, insiste Christian Huygue, directeur scientifique Agriculture à l’Institut national de recherche agronomique (Inra). Nous
devons repenser le système de fonctionnement agricole jusqu’à nos choix
d’alimentation. Vouloir manger des tomates en hiver participe au cercle
vicieux de la perte de la biodiversité.» Les animaux et végétaux
souffrent aussi de la fragmentation de leurs habitats, par la
construction d’infrastructures comme des routes, des zones
industrielles, la disparition des haies et des chemins. Certaines
espèces, comme la vipère péliade, se trouvent isolées par petites
populations qui peinent à se perpétuer.
«Grands dinosaures herbivores»
S’ajoute à tout cela le changement climatique. Certaines espèces
d’oiseaux migrateurs commencent déjà à revenir plus tôt dans nos
contrées pour se reproduire. D’autres n’ont pas la même chance. Certains
animaux et insectes qui se déplacent au sol pourraient ne pas réussir à
avancer vers le Nord sous la pression de la hausse des températures
globales. «Une augmentation de 0,55°C correspond à un déplacement
des écosystèmes de 100 kilomètres vers les pôles et de 100 mètres en
altitude, assure Jean-Dominique Lebreton, écologue spécialiste de la démographie animale et membre de l’Académie des sciences. Même
si les contributions nationales de la COP 21 sont respectées, on risque
de voir une hausse d’environ 3°C d’ici 2100 et la végétation
méditerranéenne se retrouverait en Bourgogne.» Un réchauffement si rapide que certaines espèces ne pourraient pas avoir le temps de s’adapter. «Les
oiseaux montagnards qui nichent en prairies alpines vont être poussés
vers les sommets avec la remontée des forêts en altitude, détaille Jérémy Dupuy. Ils sont condamnées à disparaître de certains massifs montagneux.» Jean-Dominique Lebreton alerte sur un autre versant du phénomène : «Le
déclin mondial des grandes espèces (ours, éléphants, singes...) est un
avertissement avant toute crise d’extinction massive. Lors de la
dernière grande extinction, ce sont les grands dinosaures herbivores qui
ont disparu les premiers.» Signe que la mécanique est enclenchée :
aujourd’hui, c’est la biodiversité du quotidien qui s’efface de nos
mers et de nos campagnes.
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